Au fur et à mesure que j’explorais une expression plus personnelle, des thèmes plus violents ont commencé à ressurgir. Il en découle aujourd’hui une sorte d’introspection salutaire.
En remarquant certaines similitudes entre mes travaux actuels et ceux que j’ai pu faire lors de mon bref passage aux beaux arts, plus de 10 ans auparavant, j’ai réalisé à quel point mon rapport à la souffrance a évolué au fil du temps.
Un réel inacceptable
Mon point de départ était donc l’expression d’un mal. Subi, ressenti. Une expérience gardée sous silence que ma psyché s’efforçait de restituer, malgré son caractère inacceptable par définition. Le souffle, l’esprit même qui animait la création était donc de pouvoir crier une douleur que je ne pouvais exprimer d’aucune autre façon.
A cette époque, j’ignorais même le sujet : les traumatismes avaient été ensevelis dans une parfaite amnésie. Mais l’absence de mémoire n’annule pas le mal, comme s’il ne s’était rien passé. La souffrance prend alors les chemins de la difformité et de la mutation, et le symbolique devient l’unique chemin du réel.
Ce pur pathos schizophrène se construit petit à petit comme une cage enfermant le créateur dans sa création, sans la lucidité nécessaire pour ouvrir les portes d’un au-delà. Le réel est présent, mais il n’a pas de corps. Nulle perspective possible de joie ni d’espérance effective.

Un acceptable hors du réel
J’étais donc dans cette cage évoquée plus haut. Un enfermement qu’il n’est pas possible d’accepter éternellement. Ne pouvant en sortir de moi-même, c’est donc mon rapport à la souffrance qui a changé.
Par petites touches par-ci par là, je développais un appétit pour la violence. Pour ne plus souffrir, je dressais mon esprit à trouver de la jouissance dans les souffrances. Les visions morbides ne pouvaient plus me bouleverser si j’en pervertissais ma perception. Je n’étais plus la victime innocente de l’injustice si je devenais moi-même coupable.
Mais cette astuce frauduleuse me conduisit sur un chemin pire encore : pour maintenir mon esprit dans cette réalité alternative, il fallait le nourrir et le former constamment en l’abreuvant de plus en plus de violence. Comme ce n’est pas le sens naturel et sain de notre développement, cette tâche devait non seulement se répéter mais aussi s’amplifier ad vitam æternam. Les artifices pour altérer la conscience du réel se multipliaient eux aussi.
Les corps que je dessinais n’étaient plus déformés. Les sourires revenaient sur les visages de mes personnages… Mais les corps étaient démembrés, et les sourires, machiavéliques. Comme un démon, je me délectais des souffrances, consommant et produisant du « gore » comme on consomme du porno, jusqu’à confondre les deux.
La souffrance, que je cherchais initialement à faire sortir par l’expression artistique, devint ma nouvelle cage. Quelle œuvre maléfique ! Au lieu de me libérer des abus, je finissais par m’abuser moi-même. Satan, comme a son habitude, avait transmis un mal qu’il n’est pas capable d’assumer lui-même.

Une réelle souffrance de l’inacceptable
La direction n’était pas idéale. J’étais en train de vendre mon âme au Diable ! Mais… mais j’avais enfin limé les barreaux de ma cage symbolique. J’avais les mots, j’avais les corps et les images pour retrouver le réel qui manquait dans mes premières expressions.
Seulement, si dans mes premiers travaux le sujet échappait aux réalités matérielles, dans ma deuxième approche, le sujet échappait aux réalités spirituelles. Comme une boîte au couvercle capricieux qui, en appuyant d’un côté pour le fermer, voit le côté opposé se rouvrir mécaniquement.
C’est à cause de ce paradoxe du mal que la souffrance existe. Et vouloir vivre hors de toute souffrance, c’est se priver de l’unique clef capable de décrypter la vérité et le réel en pleine conscience, de corps et d’esprit. Il ne s’agit pas de désirer la souffrance, mais de l’accepter pour ce qu’elle est sans l’esquiver ni la glorifier.

Je suis heureux d’avoir parcouru ce chemin. Je reconnais que sans l’aide de Jésus-Christ, je n’aurai pas pu avancer au delà de mes petits schémas, parce que la douleur est réellement insupportable.
Le chemin de la vie est le chemin de la vérité et de l’amour. Là où il y a vie, il y a vérité et amour. Là où il y a vérité, il y a vie et amour. Là où il y a amour, il y a vie et vérité. Retirez l’un, tous les autres disparaitront.
Finalement, j’ai l’impression de revenir au point de départ. Mais pas à la manière d’une régression. Il s’agit en fait d’un retour aux sources. Pas aux sources du mal, mais aux sources de la vie blessée par le mal. La vie qui n’est dissociée ni de la vérité, ni de l’amour.
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